A n’en pas douter, le président s’est mis à dos les élus pour un bon bout de temps. Non seulement Emmanuel Macron a tenu sa promesse honnie par les édiles – supprimer la taxe d’habitation (TH) pour 80% des ménages entre 2018 et 2020 –, mais il a fait savoir que cette mesure n’était que "le premier acte d’une réforme ambitieuse des finances locales". En laissant entendre au passage que ce prélèvement injuste avait vocation à disparaître complètement d’ici la fin du quinquennat. Du coup, beaucoup de maires n’ont pas hésité à crier à "l’arnaque" et à "l’escroquerie". Décryptage d’une polémique qui n’est pas près de finir.
Emmanuel Macron l’a répété à de multiples reprises avant même d’être élu : "L’Etat remboursera à l’euro près le manque à gagner pour les communes." Mieux, son ministre de l’Action et des Comptes publics, Gérard Darmanin, a assuré que la compensation se ferait "non seulement par rapport à l’année 2017, mais par rapport à la dynamique des habitants et à celle des bases". En d’autres termes, cela signifie que le montant versé par l’Etat, qui sera calculé sur la base des taux en vigueur en 2017, tiendra compte de l’évolution démographique de chaque collectivité locale. En cas de croissance du parc de logements, ces dernières ne seront donc pas lésées.
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Il est indéniable que la réforme va changer la donne pour les élus. D’abord, ils vont abandonner une partie de leur autonomie financière car la taxe d’habitation représente l’un de leurs principaux leviers fiscaux. Elle a rapporté en 2016 près de 22 milliards d’euros aux communes et à leurs groupements, sur 55 milliards prélevés sur les ménages (et 81 milliards au total ). Ensuite, la mesure, qui devrait représenter à terme un man que à gagner de quelque 10 milliards d’euros par an, intervient dans un contexte financier fragile.
En matière d'impôts, la taxe d'habitation était le principal levier des maires :
En matière d'impôts, la taxe d'habitation était le principal levier des maires.
C’est en effet bien souvent en partie grâce au relèvement de cette taxe que les édiles ont réussi à compenser la baisse des dotations globales de fonctionnement versées chaque année par l’Etat (-19% depuis 2013). Or, à partir de 2020, il sera politiquement difficile de toucher à nouveau au taux de ce prélèvement, à moins d’accepter de refaire payer les ménages exonérés. "C’est une façon de lier les pieds et les poings des élus pour l’avenir", observe Olivier Bertaux, de Contribuables associés. Ils en seront d’autant plus gênés que la part de la taxe d’habitation est importante dans leurs ressources fiscales. Enfin, les maires ne croient pas à la promesse de remboursement intégral du manque à gagner par l’Etat.
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"La sincérité est certainement là, mais la capacité de le faire, je n’y crois pas", a résumé François Baroin, le président de l’Association des maires de France, l’été dernier. Si le dédommagement prend la forme de dotations, comme cela se profile aujourd’hui, les élus pourraient en effet y laisser des plumes. "Dans ce domaine, il n’y a aucune promesse pour l’éternité", reconnaît le député de la Marne (centriste) Charles de Courson. De fait, l’expérience prouve que les compensations promises par le passé sous forme d’enveloppes budgétaires ne sont pas restées figées dans le temps.
Il suffit de regarder celle qui était censée contrebalancer la suppression de la part salariale de la taxe professionnelle, en 2003. "Elle a commencé à baisser à partir de 2006. Depuis, elle est inférieure d’au moins 40% au montant initialement promis", assure Pierre-Olivier Hofer, directeur d’Exfilo, un cabinet spécialisé en finances locales. Idem pour la suppression totale de la taxe professionnelle, compensée à l’euro près depuis 2010, mais écrêtée pour la première fois de 6% en 2018. Au reste – et c’est cela qui exaspère le plus les élus –, Emmanuel Macron ne se cache pas de vouloir conditionner le montant de la compensation à leurs efforts. Soit vous faites de réelles économies budgétaires dans les années qui viennent et vous aurez votre argent, a-t-il fait savoir en substance aux représentants des grandes villes, soit vous continuez de gaspiller comme aujourd’hui et vous pouvez vous attendre à une mauvaise surprise. Pour des maires habitués à flamber à leur guise l’argent des contribuables, cette stratégie de la baïonnette dans le dos est vécue comme une agression.
Pour éviter d’être lésés, ils ont récemment suggéré à l’exécutif une solution alternative : permettre aux communes de récupérer la part départementale de la taxe foncière sur les propriétés bâties, qui s’élève à environ 14 milliards par an. En échange, les départements recevraient un versement de l’Etat qui pourrait prendre la forme d’une fraction de la CSG – ce serait d’ailleurs logique puisque ces derniers financent l’aide sociale. Ce tour de passe-passe aurait pour les élus un double avantage : non seulement il supprimerait le risque d’une baisse de la compensation dans le temps, mais il leur permettrait de conserver le pouvoir de relever l’impôt à leur gré. L’ennui, c’est que cette option reporterait le problème sur les départements. A moins que ces derniers puissent à leur tour obtenir le droit de moduler le taux de la CSG en fonction de leurs besoins…
Evidemment oui, et c’est cela qui rend leur lamento peu crédible. Ils ont d’ailleurs déjà commencé à préparer le terrain, en fabriquant de toutes pièces de nouveaux prélèvements. A commencer par la fameuse taxe sur les inondations (bizarrement appelée Gemapi), que plus de 200 communautés de communes ont instaurée cette année. Elle n’est pour l’instant pas très élevée (elle ne dépasse pas souvent quelques euros par habitant), mais ce n’est sans doute qu’un début, car le plafond est fixé à 40 euros.
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Autre idée de génie de nos élus locaux, la taxe sur les abris de jardin, qui s’applique en réalité à toutes les opérations d’aménagement ou de construction nécessitant une autorisation d’urbanisme depuis 2012 : elle a encore augmenté cette année de 3%, et on peut être sûr que ce n’est pas la dernière fois. Et que dire de la surtaxe sur les résidences secondaires, une sorte de super-taxe d’habitation, apparue dans la capitale en 2015 avec un taux de 20%, et adoptée par une centaine de communes touristiques ! Depuis que Paris a obtenu, fin 2016, qu’elle puisse grimper à 60%, elle a été portée à 40% à Saint-Jean-de-Luz, 60% à Saint- Nazaire ou Nice et elle devrait atteindre 50% l’an prochain à Bordeaux.
Mais le plus douloureux à venir se joue probablement du côté de la taxe foncière. La métropole Nice Côte d’Azur vient d’ailleurs tout juste d’annoncer une hausse comprise entre 13 et 17% selon les communes. Et il y a pire : à Bouzonville (Moselle) par exemple, suite à la fusion avec l’agglomération de Sierck-les-Bains, les propriétaires ont vu la part intercommunale de la leur flamber cette année de plus de… 460% ! "De nombreux maires risquent de suivre", assure Olivier Bertaux, de Contribuables associés. Surtout si, comme on l’a vu précédemment, les élus réussissent à récupérer la part départementale de la taxe foncière sur les propriétés bâties pour compenser la suppression de la taxe d’habitation. Au final, les grands perdants de la réforme seront les propriétaires !
Surtaxe sur les résidences secondaires : Créée en 2015, la surtaxe d'habitation sur les logements de vacances est en train de flamber. Après Paris, Nice a annoncé qu'elle allait tripler son taux (de 20 à 60%).
Taxe sur les abris de jardin : Ce supplément d'impôt payable sur toute construction nécessitant une autorisation (823 euros le mètre carré en Ile-de-France et 726 ailleurs) a augmenté de 3% en 2018.
Taxe sur les inondations (Gemapi) : Destinée à financer la prévention des inondations, la nouvelle taxe Gemapi reste pour l'instant faible. Mais le plafond fixé à 40 euros par habitant laisse de la marge...
Taxe foncière : C'est le principal levier fiscal sur lequel les maires vont désormais agir. Et pour cause, c'est celui qui rapporte le plus (18 milliards en 2016) après la taxe d'habitation.
Amendes de stationnement : Depuis le 1er janvier, les communes peuvent fixer comme elles l'entendent les Pv de stationnement. Beaucoup d'entre elles les ont triplés, et ce n'est qu'un début.