Nul doute : le crédit immobilier n'a jamais été aussi attractif qu'aujourd'hui. Parmi les facteurs les plus encourageants, on retrouve évidemment les taux, en baisse continue depuis plusieurs mois. Ils sont désormais tombés en dessous des plus bas historiques de la fin de l'année 2016, selon les courtiers. Toute durée confondue, les emprunteurs ont bénéficié en avril d'un taux moyen de 1,35% (contre 1,39% en mars) selon les chiffres de l’Observatoire Crédit Logement/ CSA, organisme qui fait foi en la matière. Dans le détail, les prêts sur 15 ans se négocient à 1,09%, à 1,27% sur 20 ans et 1,47% sur 25 ans. Michel Mouillart, professeur d’économie à l'université Paris-Ouest et membre de l’Observatoire, détaille à Capital les conditions de cette embellie, et pourquoi elle n’est pas prête de s’achever.
Michel Mouillart : Clairement. Pour le constater, il suffit de regarder trois indicateurs. Le taux tout d’abord. En avril, on contracte un crédit immobilier en moyenne à 1,35%, toute durée confondue. Un chiffre qui est à comparer à celui constaté au précédent record de novembre 2016. On était alors à 1,33%. Sauf qu’à cette époque, l’inflation s’élevait à 0,2%, alors qu’elle est environ d’1,8% aujourd’hui. Pour le dixième mois consécutif, les particuliers empruntent donc à des taux d’intérêts négatifs. C’est du jamais vu. Dans le détail, et sur l'ensemble du premier trimestre 2019, les taux sur 15 ans se sont élevés en moyenne à 1,15%, 1,32% sur 20 ans et 1,55% sur 25 ans.
Michel Mouillart : C’est en effet le deuxième indicateur à surveiller. Rappelons déjà que l’allongement de la durée d’emprunt n’est pas nouvelle puisqu’il date de 2015. Il n’a en revanche jamais été aussi fort car entre le quatrième trimestre 2017 et le premier trimestre 2019, la durée moyenne d'emprunt est passée de 213 mois (moins de 18 ans, ndlr) à 229 mois (plus de 19 ans, ndlr). C’est à dire que chaque mois qui s’écoule, la durée moyenne augmente elle aussi d’un mois. Il s’agit d’une excellente nouvelle car cela permet aux ménages modestes, et notamment les jeunes - qui ne pouvaient jusque là emprunter qu’avec un taux zéro - d’accéder à la propriété sans être pénalisés. Jamais, donc, le remboursement annuel du crédit des ménages n’avait été aussi faible.
Michel Mouillart : Totalement, et l’on touche ici au troisième indicateur essentiel pour prendre le pouls du marché. Car avoir des taux bas ne suffit pas pour l’emprunteur. Il faut, en parallèle, que les politiques de prêts des établissements bancaires soient suffisamment conciliantes. Un exemple pour comprendre : dans les années 1980, on demandait au ménage d’amasser 30% d’apport personnel lors de l’achat d’un bien. Au premier trimestre 2019, ce chiffre est tombé à 14,7% dans l’ancien. La diminution est spectaculaire, surtout lorsqu’on sait qu’en début d’année 2017, le taux d’apport moyen grimpait à 20,7%. Ce recul de 6 points est l’élément central qui permet à des ménages modestes sans apport personnel d’entrer sans difficulté sur le marché
Michel Mouillart : Tout simplement car les coûts des ressources des banques, celles qu’elles utilisent pour financer leur prêt, n’ont jamais été aussi faibles. Lorsqu’elles accordent des prêts immobiliers, contrairement à leurs homologues espagnoles ou américaines qui se financent sur le marché obligataire, les banques françaises financent l’emprunt environ aux deux tiers grâce à la mobilisation de l’épargne de l’ensemble de leurs clients. Or, les volumes d’épargne en France sont très abondants (les encours réunis du Livret A et du Livret de développement social et solidaire s’élèvent à 400 milliards ndlr), et la rémunération de l’épargne est particulièrement faible. Le taux du Livret A est aujourd’hui de 0,75%, soit plus de deux fois moins que l’inflation. Les coût de ressource pour les banques sont donc négligeables. Et cela se ressent sur les taux qu’elles pratiquent.
Michel Mouillart : Pour le savoir, il suffit de regarder le taux de rémunération de l’épargne, mais aussi le taux de la Banque centrale européenne (BCE), qui finance les établissements bancaires. La Banque de France, dont le gouverneur siège à la BCE, estime qu’il n’y aura pas, pour le moment, de changement de taux au niveau européen. Par ailleurs, les Obligations Assimilables du Trésor (OAT), ces emprunts accordés aux Etats et qui témoignent de leur santé financière, sont aussi un indicateur très important sur lequel se fondent les banques pour déterminer le taux de leurs crédits immobiliers. Or le taux des OAT, dont le taux s’élevait à 0,78% en 2018 pour le France, devrait baisser à 0,70% au cours de l’année 2019 selon la Banque de France. Grâce à ces deux données, on peut estimer que le début de la remontée des taux ne se fera pas avant le printemps, voire l’été 2020. Jusque-là, les taux de financement resteront donc bas, et très probablement inférieurs à l’inflation.
Michel Mouillart : Le seul nuage qui plane au dessus du marché immobilier reste un éventuel changement de politique des établissements monétaires. Si ces derniers venaient à demander aux banques de renforcer leur solvabilité, et donc d’augmenter l’apport initial des clients ou d’augmenter leurs marges sur les crédits, alors les taux repartiraient à la hausse. Mais le scénario n’est pas probable à l’heure actuelle.